(Cela dit, cela s'applique aussi à la thèse un peu farfelue de Chris Boyce que j'exposais page 5.

La théorie de l'uncanny valley m'a fait penser à une autre piste, peut-être envisageable sur le long terme. Cette théorie, formulée en 1970 par un roboticien japonais, Masahiro Mori, postule que le niveau de réalisme d'un personnage humanoïde (ça peut s'appliquer en vrac à une poupée, un robot, un personnage en images de synthèse...) a une influence directe sur le niveau d'empathie que nous pouvons lui accorder. Mais cette relation n'est pas linéaire.
En gros, plus ce personnage humanoïde est réaliste (dans son apparence, son comportement, ses mouvements...), plus nous éprouvons d'empathie envers lui. Sauf qu'à partir d'un certain niveau de réalisme, la réaction s'inverse et peut aller jusqu'au rejet. Le personnage a l'air très humain. Mais il reste un petit détail qui cloche et qui gâche tout ! La texture de la peau qui n'est pas tout à fait naturelle ; un regard trop fixe, des mouvements trop brusques, etc., des détails qui empêchent finalement un véritable humain de sympathiser avec un robot à l'apparence très proche de celle de l'homme, mais qui fait vaguement penser à un zombie, ou à quelqu'un de malade.
Cette théorie expliquerait pourquoi les robots ultra-réalistes (comme le sosie du célèbre professeur Ishiguro, ou cette gynoïde du même, ou les personnages du film d'animation Final Fantasy : les créatures de l'esprit) n'arrivent pas à convaincre entièrement, et même suscitent un malaise chez certains.
Bref, à l'heure où l'on parle de plus en plus (en particulier au Japon, qui connaît de graves problèmes démographiques et ne souhaite pas recourir massivement à la main d'oeuvre immigrée) du développement, d'ici une génération ou deux, de robots voués, par exemple, à l'assistance aux malades ou aux personnes âgées, je me demande s'il n'est pas illusoire et même contre-productif de vouloir créer des androïdes ressemblant parfaitement à l'homme.
Au contraire : puisque l'un des premiers objectifs envisagés par les roboticiens japonais est de créer des androïdes remplissant des tâches domestiques, auxquels on doit pouvoir s'attacher (quelque soit leur niveau réel d'intelligence)... est-ce qu'on ne devrait pas leur donner une apparence délibérément non-réaliste, mais amicale, avec une fourrure douce, des yeux attendrissants, une bonne grosse truffe humide...
... un robot furry, en somme ?

Je sais que certains vont rigoler ! Mais à tout prendre, si les androïdes doivent vraiment jouer un rôle important dans la société de l'an 2050 ou 2100, la question de leur apparence sera primordiale. Et vu que la réalisation d'androïdes ultra-réalistes pose des problèmes techniques et éthiques importants (comment reconnaître une telle machine d'un humain ? on est en plein Blade Runner là !

